Fixisme, Mobilisme

Théories scientifiques générales des sciences de la «Terre» qui privilégient dans le premier cas les situations de stabilité des continents, surtout dans la période récente, et plus largement la stabilité ou la faible dynamique de nombreux processus physiques et biologiques ; et insistent au contraire dans le second cas sur les déplacements, mouvements et les dynamiques constantes à des pas de temps assez courts des continents et d’autres phénomènes naturels.
La perception immédiate de l’«environnement» terrestre par les civilisations traditionnelles et leurs conceptions ancestrales les ont amené d’abord à une interprétation fixiste de la nature et du jeu des processus physiques et biologiques, en particulier des topographies et des continents eux-mêmes ; une conception fixiste absolue considère les continents et les formes de «relief» comme immobiles et stables, sauf des «catastrophes» courtes, interprétées comme des interventions aléatoires de puissances occultes. La variabilité évidente des autres phénomènes naturels, comme le temps est considérée comme constitutive d’un ordre éternel de la Nature, cyclique, avec retour régulier aux mêmes situations. Et les individus, les sociétés humaines doivent s’insérer dans cette permanence ou ces cycles immuables. Toute évolution un peu marquée est perçue comme une anomalie, voire un danger, une atteinte à l’ordre du Monde.

Abandonné avec l’émergence de la Géologie et de la Géomorphologie au début du XIX°s., le fixisme absolu a fait place à un fixisme relatif : les continents, les formes de «relief» seraient stables au pas de temps de la vie humaine et même de la centaine de milliers ou du million d’années. Mais des perturbations, brèves par rapport aux phases de stabilité, des « catastrophes » au sens de G. Cuvier (+ 1832) ou d’Orbigny (+ 1857), provoqueraient des mouvements verticaux et latéraux de l’écorce terrestre, créateurs des montagnes, des fossés, des bassins, dont les plus vastes sont les bassins océaniques. Le modèle du cycle d’érosion de W.M. Davis (1909) intègre une certaine mobilité des continents ou du niveau de la mer ; mais il s’agit de mouvements brefs à l’«échelle» du temps géologique, séparant de longues phases d’érosion sur un «continent» stable ou à peu près stable. Pour lui et ses contemporains, les derniers mouvements verticaux importants auraient eu lieu à la fin du Miocène ou au Pliocène ; d’éventuels mouvements latéraux du continent ne sont pas évoqués. Entre les deux guerres encore, si les géologues et géomorphologues admettent des mouvements de compression latérale des «terrains», qui les plissent et les soulèvent et créent des chaînes de montagne en structure plissée, ils refusent la théorie de la dérive des continents proposée par A. Wegener (1915) et soutiennent que les «océans» se sont formés par effondrement de pans entiers d’un méga-continent originel. Pour des raisons obscures, les géologues et géomorphologues soviétiques ont minimisé jusqu’à la fin des années 1960 l’existence de mouvements latéraux (ou tangentiels) des continents, et J. Tricart, qui s’en inspirait, déclarait encore en 1968 : « malgré quelques partisans attardés, on s’accorde aujourd’hui à récuser la théorie de la dérive continentale de Wegener… ».

Mais dès la fin du XIX°s ; , des chercheurs soutenaient la thèse opposée d’une mobilité généralisée et permanente des continents, des formes de relief et des autres phénomènes physiques et biologiques, c’est-à-dire des théories mobilistes. Ils s’appuyaient sur les preuves de mouvements constants de l’écorce terrestre que sont les séismes, les éruptions volcaniques, les couches de roches plissées dans les montagnes. Au XX°s., Argand (19 ) explique la formation des chaînes de montagnes et des océans en comparant la surface de la Terre à la peau d’une pomme qui se ride et se déchire en vieillissant. A. Wegener tire parti en 1912 d’arguments géographiques (l’emboîtement apparent des limites de certains continents comme l’Amérique du Sud orientale dans l’Afrique occidentale et centrale), géologiques (la continuité des plis et faunes fossiles de part et d’autre de l’Atlantique sud) et géophysiques (constitution interne de la planète Terre) pour élaborer un modèle de la dérive des continents, composés de roches acides et peu denses (le sial = silice + alumine) qui flotteraient sur une couche plus basique et plus dense , le sima (= silice + magnésium) apparaissant dans le fond des océans. Au même moment, W. Penck ( 1924) propose un modèle de la formation de surfaces d’aplanissement étagées dans un bloc en soulèvement constant, sans les longues phases de stabilité supposées par W.M. Davis.

Après la Seconde Guerre Mondiale, les géologues et géomorphologues accumulent les preuves de mouvements tectoniques importants, verticaux et latéraux, pendant l’ère Quaternaire et même jusqu’à l’Holocène : par exemple des moraines ou des terrasses alluviales faillées ou chevauchées. Les climatologues et les biogéographes acceptent peu à peu l’idée d’une évolution constante des paramètres caractéristiques des climats et des formations végétales, avec des oscillations fréquentes, d’ampleur variée, sans jamais de retour à l’état antérieur ou à une stabilité hypothétique. Surtout, les géophysiciens et géologues constatent après 1968 au fond des océans un écartement permanent de l’écorce terrestre au fond de fissures par où jaillissent des laves, situation qu’ils rapprochent des grands rifts continentaux d’Afrique orientale et Islande. Ils constatent et mesurent avec précision l’écartement des continents de part et d’autre des océans. Ils élaborent à partir de là une théorie globale de la tectonique des plaques, qui suppose une mobilité généralisée de l’écorce terrestre, divisée en plaques lithosphériques en mouvement lent (quelques centimètres par an) sur une couche interne plastique, l’asthénosphère. Les mouvements d’écartement des plaques continentales créent des fossés, des mers , des océan. A leur autre extrémité, les plaques lithosphériques entrent en collision ou passent l’une par-dessus l’autre en créant des montagnes, jamais stables. Au passage au-dessus de secteurs particuliers de l’asthénosphère, dits « points chauds », les plaques lithosphériques sont percées par des laves qui édifient des «volcans», actifs pendant plusieurs milliers d’années, puis de moins en moins dynamiques au fur et à mesure qu’ils s’éloignent des points chauds. Aucune partie du globe terrestre n’est stable géologiquement et géomorphologiquement. De même, les analyses palynologique ont montré qu’aucune formation végétale, aucun sol, aucun climat ne sont vraiment stables, quel que soit le pas de temps retenu, siècle, millénaire, million d’années.
Et les chercheurs se sont habitués mentalement à concevoir une mobilité généralisée de leurs objets d’étude.

G.H.

 

Références bibliographiques :
-WM. Davis, 1909, Geographical essays, boston, 777 p.
-W. Penck, 1924, Morphologische Analyse, Stuttgart, 284 p.
-J. Tricart, 1968, Précis de Géomorphologie, 1 Géomorphologie structurale, SEDES, 324 p.
-A. Wegener, 1915, L'origine des continents et océans,