Géopolitique

La géopolitique est une discipline à l‘intersection de la géographie, des sciences politiques et des sciences militaires, qui traite des relations entre pouvoir et territoire, dans une perspective polémo-géographique et dans des contextes où l’étude porte sur des affrontements antagonistes , réels ou potentiels. Avec une approche des problèmes essentiellement fondée sur la dialectique, elle s’attache à l’analyse de la répartition des ressources et à leur effet sur les relations entre entités politiques. Rosière (2003) la définit assez justement comme une discipline spécialisée dans « l’étude de l’espace considéré comme un enjeu ».

Le terme « géopolitique » est apparu au début d’un 20ème siècle (Kjellen, 1905) tourmenté par des conflits d’une ampleur inégalée, mais aussi touché par la généralisation de la forme démocratique et marqué par la mise en place d’un nouvel équilibre politique et économique mondial. Son apparition au lexique des géographes suit de peu celle du terme « géographie politique » (Ratzel 1897), et précède celui de « géographie électorale » (Siegfried, 1913).

Si la géographie électorale désigne clairement l’analyse spatiale pouvant être faite de la matière même des élections, les termes de géographe politique et de géopolitique sont beaucoup plus difficiles à distinguer. Selon Montbrial (2001), la géographie politique s’occuperait des problèmes praxéologiques existant entre des groupes d’individus ou des unités politiques, qu’elles soient dominantes ou non. Concrètement, cela revient à s’intéresser à un très vaste ensemble de problèmes caractérisés par des conflits divers entre groupes, au sein d’un pays ou entre pays : des conflits ethniques, commerciaux, religieux, idéologiques, scientifiques, culturels, etc. : si on suit cette définition, la géopolitique serait un sous-ensemble de la géographie politique. Pourtant, certains auteurs ne partagent cette position et vont parfois jusqu’à récuser l’existence même d’une géographie spécifiquement politique, toute géographie du territoire étant de nature déjà politique.

Sans aller aussi loin, on peut considérer que la géographie politique concernerait davantage l’analyse des cadres politiques, à l’aide de typologies réalisées dans une perspective structuraliste ou systémique, laissant à la géopolitique la dialectique et l’analyse des conflits. Nous considérons donc que la géopolitique moderne fournit les informations qui guident les décisions des acteurs locaux, nationaux ou internationaux, dans un contexte de rivalités, de luttes, de pressions et/ou de frictions : à ce titre, elle est étroitement liée à la réflexion stratégique, à la géostratégie plus spécifiquement militaire, dont elle recouvre certains aspects.

Toutefois, ce positionnement n’a pas toujours eu précisément ces contours. A son origine, la géopolitique désignait plus étroitement l’étude de l’Etat en tant qu’organisme vivant disposant d’un corps spatial et soumis à des cycles de vie (naissance – maturité – déclin) déterminant ses variations frontalières. Cette approche originale des Etats a été initiée par l’Allemand Friedrich Ratzel (1844-1904), universellement considéré comme le père spirituel de la géopolitique. Quant au mot « Geopolitik », il a été proposé pour la première fois par le juriste Suédois Rudolf Kjellen (1864-1922), qui a poursuivi et développé la réflexion de Ratzel sur les Etats en tant qu’organismes. Ultérieurement, ce terme si sonore a rapidement conquis le monde universitaire germanique avant de s’imposer aux autres chercheurs, dont les francophones à la suite de la publication de l’ouvrage de Jacques Ancel (1879-1943) intitulé « Géopolitique » en 1936.

L’histoire de la géopolitique ne serait cependant pas complète si on n’évoquait aussi les heures sombres de cette approche entre les deux guerres mondiales. En effet, à partir de 1922 le général Karl Haushofer (1869-1946) reprend ce terme dans la revue Zeitschrift für Geopolitik, et étend le champ de ses applications en s’adressant à un vaste public et en traitant les multiples aspects de la vie moderne (vie politique, économique, usage militaire de la propagande). Cette revue devint le phare de la vision géopolitique allemande, vision imprégnée de l’idée de la spoliation de l’Allemagne, de la défense de la germanité et de la nécessité pour un peuple de contrôler un espace vital dimensionné à sa mesure. Ainsi la géopolitique a indirectement permis à Haushofer de fonder ou de justifier les conditions concrètes de l’expansionnisme allemand.

Ce dernier épisode explique la quasi-disparition de ce mot après la guerre, du fait du discrédit très important qui fut jeté sur cette notion. Certes, les réflexions « géopolitiques » ont continué à exister et à progresser dans un contexte international tendu marqué par la guerre froide et les diverses théories spatiales qui l’ont accompagnée (théorie des dominos, …), mais le terme lui même avait été trop connoté idéologiquement pour qu’il puisse encore être utilisé en toute neutralité.

Contre toute attente, ce mot qui aurait dû disparaître du lexique français tant il véhiculait de mauvais souvenirs, a pourtant resurgi au début des années 1980 ! D’abord dans une revue : la revue Géopolitique de Marie-France Garaud, ex-conseillère du président Pompidou ; puis dans les écrits d’Yves Lacoste, qui a modifié en 1983 le sous-titre de sa revue Hérodote pour y faire figurer le mot « géopolitique ». Pour Lacoste, la nouvelle géopolitique traite fondamentalement des rivalités entre unités politiques, à différents niveaux et selon différentes thématiques.

La fin de la guerre froide aidant, la géopolitique du 21ème siècle intègre dorénavant la plupart des grands débats contemporains : la croissance de la population et l’urbanisation du monde ; les effet de serre, la gestion des ressources non-renouvelables et le développement durable ; la problématique des risques et le principe de précaution ; la démocratisation du monde ; les expressions culturelles ou religieuses et la montée des fondamentalismes ; etc… Cette nouvelle géopolitique retrouve ainsi une certaine modernité dans son discours, d’où son succès indiscutable.

Voir aussi:
Puissance, Dispute territoriale

 

Références bibliographiques

-Agnew John, Mitchell Katharyne, Toal Gerard, 2003, A companion to political geography. Oxford : Blackwell, 494 p.
-Ancel Jacques, 1936, Géopolitique. Paris : Delagrave
-Bussi Michel, Badariotti Dominique, 2004, Pour une nouvelle géographie du politique ; Territoire - Démocratie - Elections. Paris : Anthropos, collection Villes-géographie, 301 p.
-Claval Paul, 1994, Géopolitique et géostratégie. Paris : Nathan, 189 p.
-De Montbrial Thierry, 2001, L'action et le système du monde. Paris : PUF
-Haushofer Karl, 1932 , Wehr-politik. Berlin : Junker und dünnhaupt
-Kjellen Rudolf, 1916, Die politischen problemen des Weltkrieges. Leipzig : Treubner
-Kjellen Rudolf, 1916, Der Staat als Lebenform. Leipzig : Treubner
-Kleinschmager Richard, 1993, Eléments de géographie politique. Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 134 p.
-Korinmann Michel, 1990, Quand l'Allemagne pensait le monde. Paris : Fayard, 413 p.
-Lacoste Yves, 1995, Dictionnaire de géopolitique. Paris : Flammarion, 1699 p.
-Ratzel Friedrich, 1988, Géographie politique. Paris : Economica (1ère édition : 1897, Politische Geographie, München, Leipzig)
-Rosière Stéphane, 2003, Géographie politique et géopolitique. Paris, ellipses
-Siegfried André, 1913, Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République. Paris, Armand Colin