Aléa

Malgré son apparente simplicité, la notion d’aléa est plus complexe qu’elle n’y paraît. Dans le domaine des risques et catastrophes, l’aléa peut désigner soit les caractéristiques d’un phénomène potentiellement dommageable (c’est-à-dire le processus naturel, technologique ou social source du danger), soit la probabilité d’occurrence et d’intensité dans une région, au cours d’une période, d’un phénomène dangereux. Sous cet angle probabiliste, l’aléa est alors un événement de réalisation ou de date incertaine, de telle sorte qu’il soit impossible de savoir avant sa manifestation quels en seront précisément ses impacts, notamment en termes d’emprise spatiale et d’effets sur les sociétés et les territoires. L’aléa est donc un événement possible qui constitue une menace en présence d’enjeux. Il ne doit pas être confondu avec le risque qui intègre également les notions de vulnérabilités, d’enjeux voire même de résilience pour certains auteurs (Cutter et al., 2008 ; Dauphiné et Provitolo, 2013).

-Une multitude de types d’aléas
L’origine du phénomène qualifie l’aléa. On distingue classiquement les aléas d’origine naturelle, technologique et les aléas du vivant. Les premiers sont déclinés en aléas météorologiques (par ex. cyclones, tornades, inondations, canicules), géologiques (par ex. glissements de terrain à terre ou en mer, coulées de boue, éruptions volcaniques, tremblements de terre), ou encore maritimes (par ex. tsunamis, érosions des littoraux, tempêtes). Les deuxièmes, liés aux technologies mises en œuvre par les hommes, correspondent par exemple aux explosions nucléaires ou chimiques, aux irradiations, aux transports de matières dangereuses, ou encore aux naufrages de pétroliers. Enfin, l’aléa peut provenir d’autres espèces vivantes et produire des épidémies, des pandémies ou des maladies émergentes (par ex. virus H1N1, SRAS) pouvant s’étendre sur de vastes territoires.
Une attention particulière mérite d’être portée aux aléas d’origine naturelle. Dans un monde de plus en plus urbanisé, ces derniers deviennent une forme d’hybridation liant des composantes naturelles et anthropiques (Pigeon, 2005). On parle alors d’aléa naturel anthropisé, c’est-à-dire un phénomène dont le déclenchement est naturel mais dont l’évolution est liée à l’action humaine, notamment aux modalités d’occupation du sol. Cette notion d’aléa anthropisé offre un cadre pour analyser les interactions entre les processus d’anthropisation et les modifications du milieu naturel. Il met en lumière l’action collective de l’homme sur les aléas naturels.
Enfin, il n’est pas rare que des aléas n’appartenant pas au même domaine (naturel, technologique etc) se succèdent. Ces enchaînements sont particulièrement observés dans les milieux anthropisés. Ainsi, un tremblement de terre génère des incendies, une inondation produit des accidents technologiques, et une guerre diffuse des épidémies. Leurs conséquences sur les sociétés peuvent alors être plus redoutables encore.

-Des caractéristiques communes
Au-delà de cette diversité d’origine, les aléas sont définis par des caractéristiques communes (Moriniaux, 2003) :
– une magnitude : cette composante physique permet d’évaluer la taille de l’événement aux moyens de paramètres. La magnitude s’exprime en différentes mesures : énergie, volume, hauteur, flux, température, vitesse selon l’aléa étudié.
– une intensité : cette composante détermine l’importance d’un phénomène en fonction de ses effets potentiels ou effectifs sur les éléments du système étudié (par ex. les personnes, les biens, l’environnement).
Il n’y a pas de relation directe entre magnitude et intensité. Pour illustrer ces propos, pour un aléa sismique de même magnitude (la magnitude correspond à l’énergie libérée à l’hypocentre), l’intensité (quantité de dommage établie à partir des effets ressentis ou observés à la surface en un lieu donné) varie selon les conditions géologiques et topographiques des sites ainsi que la nature et la qualité des constructions. A titre d’exemple, le séisme de Bam (Iran) de 2003 de magnitude 6,6 a causé la mort de plus de 38 000 personnes, tandis que le séisme de Kobé (Japon) de 1995 de magnitude 6,9, a fait 5 fois moins de victimes. L’écart au niveau des victimes s’explique par la différence de vulnérabilité des constructions et de culture du risque sismique.
– une occurrence : cette composante spatiale et temporelle correspond à la probabilité de retour d’un événement de référence sur un terrain donné. Elle peut être estimée quantitativement (forte, faible, négligeable) ou qualitativement (période de retour de 10 ans, 30 ans, 100 ans, 1000 ans…).
– une cinétique : cette composante temporelle de l’aléa permet de distinguer les aléas de durée brève (par ex. un tremblement de terre) ou longue (par ex. une sécheresse).
– une aire d’impact : cette composante spatiale correspond à l’extension du phénomène et/ou de ses impacts sur le territoire. Elle fait souvent l’objet d’une cartographie.

il existe deux approches pour évaluer les aléas
-Approche déterministe
Cette approche consiste à identifier les causes des aléas et parfois à quantifier les conséquences humaines, matérielles, financières des événements. Ainsi, le guide méthodologique des Plans de Prévention des risques Littoraux (PPRL) préconise pour les aléas littoraux d’analyser le fonctionnement général du littoral (compréhension du fonctionnement du site) et de décrire les phénomènes pour déterminer les aléas à traiter et les principaux facteurs à l’origine de ces aléas. Dans l’approche déterministe, chaque aléa, du fait de sa diversité, est caractérisé par des méthodes spécifiques.

-Approche probabiliste
Sa logique est totalement différente de l’approche déterministe, puisqu’elle repose sur une mesure de la survenance ou de l’intensité de l’aléa. Qu’il s’agisse de risques naturels, technologiques, épidémiologiques ou sociaux, la probabilité des aléas est souvent établie à partir de la connaissance des événements recensés par le passé. A partir de ces événements, les statisticiens estiment la probabilité qu’un événement de même nature et de même magnitude ou intensité se reproduise. Ils calculent ainsi des durées de retour de 10, 50, 100 ans etc.. Parfois, la rareté de certaines catastrophes ou la nouveauté de quelques risques ne permettent pas de disposer de séries temporelles suffisamment longues pour en déduire des fonctions de répartition probabiliste. Par exemple, les modèles probabilistes sont mal adaptés à l’étude des risques socio-politiques. De même, il est vain de vouloir définir des aléas dans le domaine de l’énergie nucléaire à partir des seuls accidents connus. Leur rareté interdit toute approche probabiliste construite sur la loi des grands nombres. Lorsque l’évaluation directe et objective, tirée d’enquêtes statistiques disponibles, est impossible, les experts empruntent une démarche indirecte. La probabilité de l’aléa est calculée à partir des probabilités des différentes causes pouvant conduire à l’accident : la résistance du matériel, un événement déclencheur, l’échec des différents dispositifs de sécurité, etc. L’aléa devient alors le résultat de calculs successifs, établis sur une connaissance toujours incomplète du phénomène. L’aléa est appréhendé soit par la méthode des arbres de défaillance soit par celle des arbres d’événements. À chaque branche de l’arbre sont associées les probabilités des causes menant à l’aléa. Ces méthodes (Kervern et Rubise, 2001 ; Haimes, 2015), sont majoritairement employées pour les risques technologiques.
Ces deux approches peuvent être mobilisées pour un même aléa. Pour prendre un exemple, le nouveau zonage sismique de la France est basé sur l’évaluation de l’aléa sismique à partir de la probabilité d’occurrence d’un séisme en un lieu et une période donnés. Ce zonage correspond à l’aléa régional. En revanche, l’approche déterministe est retenue pour évaluer l’aléa sismique local. Il tient compte des conditions géologiques et topographiques susceptibles d’entraîner localement une amplification de la vibration sismique (effets de site directs), ou d’induire d’autres phénomènes naturels dangereux, tels que des glissements de terrain, des éboulements ou des tsunamis (effets de site induits).

Damienne Provitolo

voir aussi: anthropisation

 

Bibliographie

-Cutter, S.L. et al. 2008, A place-based model for understanding community resilience to natural disasters. Global Environmental Change, 18: 598-606.
-Dauphiné A. et Provitolo D., 2013, Risques et catastrophes – Observer, spatialiser, comprendre, gérer. A. Colin (2ème édition), Paris, Collection U, 412 p.
-Haimes Y., 2015, Risk modeling, Assessment, and Management, Wiley (Fourth ed), New York, 720 p.
-Kervern G.-Y. et Rubise P., 2001, L’Archipel du danger – Introduction aux cindyniques, Paris. Économica, 460 p.
-Moriniaux V., 2003, Question de géographie - Les risques. Editions du temps, Nantes, 256 p.
-Pigeon P., 2005, Géographie critique des risques. Economica, Paris, 217 p.