Information Géographique Volontaire

L’information géographique volontaire rassemble l’ensemble des démarches de création de contenus géolocalisés, bénévoles et spontanés qui fournissent des données géographiques différentes des productions conventionnelles des cartographes ou géomaticiens professionnels.

C’est en 2007 que Michael Goodchild a publié un texte de référence dans le domaine des sciences de l’information géographique (GIScience) dans lequel il a proposé l’expression « volunteered geographical information » 1 pour traduire les recompositions techniques et organisationnelles qui bousculaient le monde de la géomatique sous l’influence du web 2.0 (Mericskay et Roche, 2011). De multiples expressions étaient alors utilisées pour qualifier ces évolutions : du contenu géographique généré par les utilisateurs (Purves et al., 2008) au geo-crowdsourcing (Sui et al., 2013) pour insister sur l’intrusion des internautes dans la production de données, des GIS/2 (Miller, 2006) à la néo-géographie (Turner, 2006) pour souligner les ruptures avec la géomatique dite « conventionnelle ». La notion d’information géographique volontaire s’est progressivement imposée comme un cadre fédérateur qui traduit la place centrale qu’occupe désormais le citoyen dans ces nouveaux modes de fabrique cartographique.

Cette individualisation de la production de données géographiques (dont les cartes ne sont qu’une modalité de restitution) trouve son origine au croisement de trois évolutions apparues simultanément. Tout d’abord, la démocratisation des techniques de géolocalisation (récepteurs GPS, bornes wifi, puces RFID, etc.) et leur intrusion dans les objets du quotidien (voitures, téléphones, montres, etc.) permettent potentiellement à tout un chacun de devenir capteur de son environnement ou de son activité. Le « citoyen-capteur » est ainsi devenu l’emblème de cette géographie volontaire (Goodchild, 2007) en démultipliant les possibilités d’observation et de collecte des données. De plus, l’investissement massif des multinationales du numérique (Apple, Microsoft) et du web (Amazon, Google, Facebook) dans les technologies géospatiales a conduit, depuis le milieu des années 2000, à un renouvèlement des systèmes de production et de visualisation des cartes numériques avec, par exemple, l’émergence des globes virtuels. Ces nouvelles interfaces cartographiques ont rencontré une réponse enthousiaste tant du public que des créateurs de sites Internet et de services mobiles. Désormais sur le Web, les cartes sont partout et proviennent aussi bien des professionnels du domaine (géographes, cartographes) que d’utilisateurs nouveaux : militants associatifs, hackers, acteurs politiques, journalistes, designers, etc. Enfin, l’essor d’initiatives tant citoyennes qu’institutionnelles d’ouverture des données (open data) et l’émergence progressive de standards techniques participent à l’accélération de la circulation de l’information (notamment géographique).

Ainsi, ce triple mouvement (dissémination des capteurs, profusion des services cartographiques et accélération de la circulation des données) a produit à la fois une démultiplication des données géolocalisées et une expansion de leurs usages. Chaque Internaute peut désormais consulter, annoter ou croiser ses données en les géoréférençant et en les mobilisant sur des interfaces cartographiques en ligne. Une profusion d’égo-cartographies s’observe ainsi sur Internet avec la diffusion de cartes mémorielles et personnelles ou encore avec la visualisation de traces numériques (Romele et Severo, 2013).

Si des usages sollicités sont apparus dans le domaine du géomarketing, des réseaux sociaux, des sciences participatives, de la gestion de crise ou encore de la consultation citoyenne, d’autres pratiques plus spontanées ont progressivement émergé dans le domaine culturel, artistique ou encore politique.

Ainsi, des projets de cartographie collaborative comme OpenStreetMap (OSM) occupent désormais une place importante dans le paysage de l’information géographique. Souvent présenté comme le « Wikipédia de la cartographie », OSM est un projet qui propose à des milliers de contributeurs de multiples environnements collaboratifs pour alimenter une même base de données cartographique mondiale, librement éditable et partagée. Ce commun numérique constitue aujourd’hui une source cartographique qui complète, contourne voire concurrence les données institutionnelles (celles des États, des collectivités) tout comme les données commerciales (celles des multinationales, des entreprises).

L’essor des technologies numériques a également permis à toute une série d’acteurs sociaux, traditionnellement exclus du processus de production cartographique – les habitants de quartiers, mouvements écologiques, peuples autochtones, pour ne citer que ceux-là – de s’approprier les outils et modes de représentation de la cartographie et de l’information géographique pour faire pression sur les politiques publiques, notamment d’aménagement du territoire. Si dans le prolongement de la cartographie participative, les systèmes d’information géographique (SIG) participatifs ont permis d’introduire les techniques géomatiques dans des actions de démocratie participative depuis les années 90, l’essor du Web tend à amplifier ce type d’initiative (Joliveau et al., 2013). Ainsi, des groupes marginalisés et des minorités mal ou peu représentées dans les cartographies dominantes tentent de faire de l’information géographique un outil d’empowerment numérique parce qu’elle leur permet de rendre visible des problématiques, des controverses, des conflits spatiaux (Orangotango+, 2019). L’information géographique volontaire mobilisée comme instrument de contestation sociale et de justice spatiale s’inscrit alors dans la lignée de la contre-cartographie, pratiquée, bien avant le développement d’Internet, par le géographe William Bunge (1975) ou plus récemment par la sociologue Nancy Peluso (1995).

Les nouveaux domaines d’usage de l’information géographique, les nouvelles méthodes et outils qui y sont associés génèrent des enjeux de recherche multiples, notamment par leur dimension socio-spatiale. Ainsi, le pouvoir émancipateur de l’information géographique volontaire reste débattu, certains auteurs soulignant les risques accentués de fractures numériques ou encore le caractère uniformisant des services cartographiques en ligne (Noucher, 2017). Par ailleurs, la démultiplication des capteurs conduit à une augmentation exponentielle d’empreintes numériques qui ne sont pas toujours volontaires. L’exploitation galopante de ces traces numériques génère le développement d’une forme d’information géographique involontaire qui soulève bien des enjeux éthiques.

Matthieu Noucher

Notes

  1. Désormais usuellement traduit en français par information géographique volontaire, l’expression originale a toutefois un sens plus proche d’information géographique bénévole comme le souligne Gilles Palsky (2013)
 

Bibliographie

-Bunge, W. (1975) Detroit humanly viewed: the Americanurban present, in Human Geography in a Shrinking World (eds R. Abler, D. Janelle, A. Philbrick and J. Sommer), Duxbury Press, North Scituate, MA, pp. 149–181.

-Goodchild M. (2007). « Citizens as sensors: web 2.0 and the volunteering of geographic information », GeoFocus, nº 7, pp. 8-10.

-Joliveau T., Noucher M., Roche S. (2013). La cartographie 2.0, vers une approche critique d’un nouveau régime cartographique, L’Information Géographique, vol. 77, n° 4, Armand Colin, pp. 29-46.

-Mericskay B. et Roche S. ( 2011). « Cartographie 2.0 : le grand public, producteur de contenus et de savoirs géographiques avec le web 2.0 », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Science et Toile, document 552, mis en ligne le 20 octobre 2011, consulté le 22 septembre 2016. URL : http://cybergeo.revues.org/24710

-Miller C. C. (2016), « A Beast in the Field: The Google Maps Mashup as GIS/2 ». Cartographica, The International Journal for Geographic Information and Geovisualization. vol. 41, n°3, p. 187-199.

-Noucher M. (2017). Les petites cartes du web. Approches critiques des nouvelles fabriques cartographiques, Editions de la rue d’Ulm – Presses de l’Ecole normale supérieure, 70 p.

-Palsky G. (2013). Cartographie participative, cartographie indisciplinée. L’Information Géographique, vol. 77, n° 4, Armand Colin, pp. 10-25.

-Orangotango+ (collectif) (2019) This is not an atlas. A global collection of counter cartographies. Éd. Transcript Verlag. 352 p.

-Peluso, N.L. (1995) Whose woods are these? Counter-mapping forest territories in Kalimantan, Indonesia. Antipode, 27(4), pp. 383–406.

-Purves R., Edwardes A., Wood J. (2011). « Describing place through user generated content », First Monday, vol. 16, N° 9. DOI : 10.5210/fm.v16i9.3710

-Severo M. et Romele A. (dirs.) (2015). Territoires et traces numériques, Presses des Mines de Paris.

-Sui D., Elwood S., Goodchild M. (eds.) (2013). Crowdsourcing Geographic Knowledge. Volunteered Geographic Information in theory and pratice, Springer, 296 p.

-Turner A. (2006). Introduction to Neogeography, O’Reilly Media.