Modèle gravitaire

Le modèle gravitaire est destiné à formaliser, à étudier et à prévoir la géographie des flux ou des interactions. La répartition des interactions dans un ensemble de lieux dépend de leur configuration, c’est-à-dire de la force d’attraction de chacun et de la difficulté des communications entre eux. Le modèle a été formulé d’abord par analogie avec la loi de la gravitation universelle de Newton: deux corps s’attirent en raison directe de leur masse et en raison inverse de la distance qui les sépare. De même, dans un espace de circulation relativement homogène, les échanges entre deux régions ou deux villes seront d’autant plus importants que le poids des villes ou des régions est grand et d’autant plus faibles qu’elles seront éloignées.

Ainsi le flux Fij entre deux zones i et j est directement proportionnel au produit des masses Pi et Pj de chaque zone et inversement proportionnel à la distance dij qui les sépare:

Fij = k Pi Pj / dija

k est une constante déterminée lors de l’ajustement du modèle et a une constante, tantôt posée a priori égale à 2 et tantôt estimée par ajustement, elle représente alors l’intensité de la friction opposée par la distance à l’interaction.

L’analogie avec le modèle newtonien ne constitue pas une explication pour la géographie, et on n’a encore établi que des interprétations partielles du modèle gravitaire. Une véritable explication devrait s’appuyer sur la connaissance des comportements dans l’espace géographique. On peut comprendre intuitivement les raisons de la pertinence générale du modèle si l’on fait observer que:

-le produit des masses Pi Pj représente une probabilité conditionnelle pour un élément de i d’interagir (ou d’échanger sa localisation) avec un élément de j;

-la diminution très rapide des interactions avec la distance s’explique d’une part par le coût qu’implique son franchissement, mais aussi parce qu’elle représente un élargissement considérable du nombre des interactions potentielles autour d’un lieu donné: dans un espace qui serait homogène du point de vue des localisations possibles, migrer à une distance double signifie prospecter quatre fois plus de destinations potentielles, neuf fois plus si la distance est triple, vingt-cinq fois plus si elle est quintuple. On conçoit que la probabilité de détenir des informations sur tous ces lieux, d’une qualité suffisante pour décider de s’installer, décroisse très vite et plutôt comme le carré de la distance que proportionnellement à elle.

Cette formulation simple a été améliorée pour rendre le modèle opérationnel, en particulier grâce aux travaux d’A. Wilson. Le modèle avec contrainte sur les origines permet de fixer les flux totaux engendrés par les zones de départ, celui avec contrainte sur les destinations fixe les flux totaux à l’arrivée, celui avec double contrainte assure que les flux totaux estimés par le modèle seront bien égaux aux flux totaux observés pour chaque zone. Le modèle gravitaire est très employé pour analyser les flux de migration et pour délimiter les zones de chalandise en marketing (v. loi de Reilly). Des expressions plus raffinées du modèle sont utilisées pour la prévision des besoins en infrastructures de transport. Enfin, sous diverses formes, la formulation gravitaire de l’interaction spatiale est reprise dans de très nombreux modèles plus complexes.

Le modèle gravitaire résume bien en général l’essentiel des mouvements qui se produisent dans un milieu où la mobilité et l’accessibilité sont relativement homogènes. Il prédit par exemple assez bien l’ampleur des flux de déplacements domicile-travail dans un bassin d’emploi urbain, à partir de la répartition des zones de résidence et des zones d’emploi, ou encore le dessin des migrations interrégionales ou interurbaines de population à moyen terme dans un pays donné. Bien que d’une grande utilité pratique, le modèle gravitaire est un modèle pauvre sur le plan théorique; en outre, c’est un modèle statique, qui ne prend pas en compte l’évolution de la configuration, en particulier celle engendrée par les flux.

Denise Pumain

 

Bibliographie établie par Denise Pumain
-Bennett, R. J., Haining, R. P., & Wilson, A. G. (1985). Spatial structure, spatial interaction, and their integration: a review of alternative models. Environment and Planning A, 17(5), 625-645.
-Courgeau, D. (1973). Migrations et découpage du territoire. Population, 28 (3), 511-537.
-Fotheringham, A. S. (1981). Spatial structure and distance-decay parameters. Annals of the Association of American geographers, 71(3), 425-436.
-Fotheringham, A.S. and O'Kelly, M.E. (1989). Spatial interaction models: formulations and applications. Kluwer Academic Publishers.
-Grasland, C. (1990). Potentiel de population, interaction spatiale et frontières: des deux Allemagnes à l'unification. L'Espace géographique, 243-254.
-Pumain D. Saint-Julien T. 2000, Interactions spatiales. Paris, A. Colin, coll. Cursus, 191 p. Réédition en 2011 sous le titre : L’analyse spatiale 2. Les interactions
-Wilson, A. (1971). A family of spatial interaction models, and associated developments,
Environment and Planning A, 3, 1-32

Pour aller plus loin :
-Baccaïni, B. (1989). Distances de migration et cycle de vie. L'Espace géographique, 18(3), 235-238.
-Commenges, H. (2016). Modèle de radiation et modèle gravitaire-Du formalisme à l’usage. Revue Internationale de Géomatique, 26(1), 79-95.
-Courgeau, D., Muhidin, S., Bell, M. (2012). Estimer les changements de résidence pour comparer la mobilité. Population, 67 (4), 747-770.
-Desart, H.-G. (1846). Chemin de fer direct de Bruxelles vers Gand, par Alost, et communication avec les stations diverses de la capitale. Brussels: Devroye et Cie.
-Grasland, C., & Guérin-Pace, F. (2004). Mobilité européenne, tourisme et diffusion des pièces euros étrangères en France. Revue d’économie régionale et urbaine, (5), 793-822.
-Josselin, D., Carpentier-Postel, S., Audard, F., Amarouch, S., Durand, J. B., Brachet, N., ... & Garcin, L. (2020). Estimer des flux de navetteurs avec un modèle gravitaire: application géomatique en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (France). Geomatica, 74(3), 104-130.
-Poulain, M. & Pumain, D. (1985). Une famille de modèles spatiaux et leur application à la matrice des migrants interdépartementaux français pour la période 1968-1975. Espace Populations Sociétés, 3(1), 33-42.
-Pumain, D. (1986). Les migrations interrégionales de 1954 à 1982: directions préférentielles et effets de barrière. Population, vol. 41, n°2, 378-389.
-Ravenstein, E. G. (1889). The laws of migration. Journal of the royal statistical society, 52(2), 241-305.
-Simini, F., Gonzales, M.C., Maritan, A., Barabasi, A.-L. (2012). A universal model for mobility and migration patterns. Nature, 484, 96-100.
-Stouffer, S.A. (1940). Intervening opportunity: a theory relating mobility and distance. American Sociological Review, 5, 845-867.
-United Nations (1970). Methods of measuring internal migration. Population Studies, 47, New York: United Nations.